« L’Afrique n’est pas prête pour la démocratie », avait déclaré Jacques Chirac à l’aube des années 1990. Le disant, l’ancien Premier ministre français et maire de Paris (avant de devenir président de la France en 1995) appuyait ses propos sur sa connaissance des Africains, de leur mode de vie. Donc, de leur(s) culture(s).
En effet, vingt-cinq ans après le sommet de la Baule qui sonna le glas des régimes monopartites en Afrique francophone, semblant ainsi ouvrir de nouvelles perspectives, le débat est d’une actualité puissante et le constat est amer : l’Afrique peine à asseoir la démocratie ou sa démocratie. Pourtant, les mêmes intellectuels qui avaient condamné Jacques Chirac pour ces propos jugés « racistes » et « négativistes », remplissent les colonnes des journaux et occupent les ondes pour exprimer leur indignation sur cette Afrique qu’ils présentent comme un continent toujours en quête des marques et des valeurs. Une manière pour eux de contribuer à la thèse de Raymond Barre, ancien Premier ministre français qui, dans une interview au journal La Croix, disait : « Toute société se définit par son système de valeurs et ne progresse qu’en les respectant et en les accomplissant… »
L’Afrique a-t- elle oui ou non un système de valeurs qui la fait se distinguer des autres continents ? La démocratie au-delà de sa définition Quelle que soit la définition que l’on peut donner au terme « démocratie », elle n’en demeure pas moins une culture. Les autres aspects pour la définir concourent essentiellement à l’extension de la démocratie. Sinon à sa mise en œuvre. C’est ainsi qu’un aspect tel que le multipartisme ne saurait donner toute sa plénitude à la démocratie. Moins encore l’organisation des élections (fussent-elles libres et transparentes). Ce n’est plus non plus la multitude des partis ni la pluralité des médias qui font la démocratie. Pour tout dire, ce sont toutes ces réalités réunies qui donnent son sens à la démocratie. Cette architecture mise en place, reste à aider le citoyen à s’inspirer et s’approprier les valeurs forces sans l’intégration desquelles la démocratie ainsi construite s’effondrerait tel du beurre au soleil.
La racine qui sous-tend l’arbre
Si la démocratie s’entend comme une « culture » ou un « mode de vie », alors l’effort collectif devait se concentrer sur l’éducation des citoyens. En effet, les violences qu’on impute à la démocratie ne sont ni plus ni moins que la conséquence d’un manque d’éducation des citoyens à la démocratie. Celle-ci suppose, sans s’y méprendre : le débat contradictoire, la tolérance, l’acceptation de la différence d’opinions, la Co-reconnaissance (comme le disait Hegel) entre la majorité et la minorité afin d’éviter les frustrations qui sont, souvent, sources de violences. Des vertus qu’il sied de cultiver à la différence des autres éléments ci-dessus mentionnés et que seule la loi peut garantir telles les libertés publiques, la liberté d’expression, le pluralisme médiatique, le mode d’élections (ou système électoral).
En un mot, l’avènement d’un véritable Etat de droit qui fait que chaque citoyen, quel que soit son rang, doit se soumettre à la loi, composante essentielle de l’Etat de droit. Le président Roosevelt avait raison d’affirmer la puissance de la loi, quand il déclarait : « Il ne peut y avoir de paix, si le règne de la loi est remplacé par une sanctification réitérée de la force. Il ne peut y avoir de paix si les menaces de guerre sont délibérément mises au service d’une politique nationale. »
Il suffit à un peuple d’intégrer les premières vertus citées, qui sont le soubassement de la démocratie, pour que les autres prennent racine. A chacun sa partition Pour « cultiver » la démocratie, la responsabilité première revient à l’Etat et aux partis politiques qui doivent revoir leurs objectifs en accordant la priorité à la formation. L’Etat doit concevoir des programmes scolaires qui préparent les enfants et la jeunesse à comprendre le jeu et les enjeux politiques avec l’objectif de les préparer, demain, à gérer la cité à partir d’un système de valeurs bien défini. Une politique de l’Etat que les médias peuvent relayer à travers des programmes qui épousent les réalités locales et nationales avec un regard sur les objectifs généraux du pays, voire de la République. Ceux-ci sont d’ailleurs signifiés dans la constitution.
Le récent débat au Congo a dû souffrir du manque de connaissance par les uns et les autres de la chose politique ou constitutionnelle. Celle-ci étant, chez nous, considérée comme « un domaine sacré et réservé » des constitutionalistes. Donc des juristes. Au point que nul autre, fut-il professeur dans sa matière, n’a le droit d’en parler. Enfin : combien sont-ils ces partis politiques qui organisent des formations à l’attention de leurs militants et cadres ? Combien sont-ils ces militants et cadres des partis instruits aux idéologies politiques contemporaines ? Combien savent faire la différence entre les régimes présidentiel, sémi-présidentiel, parlementaire ou entre des réalités comme « monarchie républicaine », « social-démocratie », « système libéral » ?
Le système monopartite avait le mérite de former ses cadres. Formation certes contestable, parce que portée essentiellement sur la pensée unique, totalitarisme de type soviétique qui servait de prétexte idéologique pour la lutte contre le capitalisme au point que ces derniers ont du résister afin d’empêcher l’avènement du multipartisme. Malheureusement, il y a des moments où le vent de l’histoire balaie tout sur son passage.
En Europe, les partis politiques sont organisés tels que la formation est au commencement et à la fin de leur action. Preuve : les « universités d’été », dans le cas de la France, qui permettent d’échanger sur différentes problématiques. Des moments d’échanges et de partage, surtout de savoir, entre les anciens et les plus jeunes ; entre les cadres et les militants et pendant lesquels la base a son mot à dire sur l’avenir du parti.
Il nous faut revenir aux fondamentaux des partis politiques, tels qu’ils existent en occident : favoriser la démocratie en interne, avec des courants différents. Car un parti ne doit pas être un lieu de culte où la parole est dite à l’avance et le reste ne fait qu’acquiescer, mais au contraire un endroit d’échanges contradictoires, mais constructifs – d’où se découvre une élite reconnue comme telle par la majorité des militants, toutes tendances et toutes origines confondues. En effet, l’homme politique ne doit pas s’improviser, il arrive par conviction et après qu’il a fait ses preuves tant sur le plan du savoir-faire que sur celui de l’éthique.
Débarrassée des faiblesses de la démocratie, en s’engageant résolument dans des perspectives nouvelles telles que nous l’avons esquissé, l’Afrique s’épargnera des cycles récurrents de violences post-électorales auxquelles on assiste un peu partout sur le continent. C’est aux dirigeants et aux peuples de le comprendre. Nous y gagnerons en respectabilité et en responsabilité pour nous même et vis-à- vis des autres peuples. /-