Pourquoi près d’une quinzaine de centres Covid-19 échappent à l’Etat à Pointe-Noire
Les autorités politiques et militaires de Pointe-Noire viennent d’ordonner la fermeture, dans un délai de 48 heures, des centres privés de mise en quarantaine voire de prise en charge des cas Covid-19 dans cette ville océane. La plupart de ces sites sont entretenus par des sociétés pétrolières. Mais pourquoi une telle dissémination des centres privés a pu voir le jour à Pointe-Noire ? Des raisons existent forcément !
Le préfet de Pointe-Noire, Alexandre Honoré Packa n’est pas allé d’une main molle pour demander que ces centres privés soient immédiatement fermés. Pour l’autorité administrative et politique, il faut que tous les malades et ceux qui y sont suivis préventivement, intègrent les deux centres ouverts par le gouvernement, l’hôpital Adolph Cissé et le centre Mouissou Madeleine.
S’adressant aux responsables des compagnies pétrolières exploitant au large de la ville, au cours d’une réunion, le préfet a demandé « de mettre fin à tout ce désordre constaté dans la multitude des sites de mise en quarantaine », créés sur le territoire dont il a autorité.
Alexandre Honoré Packa affirme même qu’il y a des cas Covid-19 dans ces centres privés. Il parle « des cas atteints de la Covid-19 » placés dans ces sites. « Ce qui du reste contribue à la pérennisation de cette pandémie dans notre département », a-t-il tempêté, désemparé.
Une chasse ouverte contre ces centres que l’armée et les forces de l’ordre sont prêtes à appuyer, car pour le commandant de la zone militaire et de défense de Pointe-Noire, le général Olessongo, « c’est une situation anormale que dans la seule ville de Pointe-Noire il y ait 14 sites ». L’officier général des Forces armées congolaises est convaincu que les sociétés pétrolières agissent ainsi grâce à leur ampleur dans le pays. « Nous ne devrons pas privilégier la puissance financière, au détriment de la santé de nos concitoyens », a-t-il déploré.
Effectivement, malgré la chute de ses cours sur le marché international, le pétrole continue à irriguer à près de 65% le budget de l’Etat. C’est un secteur névralgique de l’économie nationale auquel il faut s’attaquer avec doigté et tact. C’est pourquoi, ces centres se sont mis à pousser comme des champignons dans la ville océane depuis la déclaration en mars dernier de la pandémie à Covid-19 au Congo. Pointe-Noire totalise, au point du 20 juin, 382 cas pour un dizaine de morts.
Qu’en est-il exactement de ces centres ?
Depuis plusieurs semaines, en effet, les hôtels et certaines villas servent de sites de quarantaine privés à Pointe-Noire. Ce sont des hotels connus comme Palm beach, Atlantic Palace, Fez, Laureat et beaucoup d’autres. En dehors de Total E&P Congo et Eni Congo, plusieurs sous-traitants sont dans cette pratique. Dans ces sites sont logés les agents des sociétés pétrolières en instance d’embarquer sur les plates-formes d’exploitation. Selon les témoignages de certains employés qui ont pu parler sous le couvert d’anonymat à Vox, le souci des sociétés, c’est d’empêcher les contaminations en cascade sur les plates-formes et autres sites offshore ou onshore.
Le séjour dans ces sites dure 14 jours. Pour des raisons logistiques, d’autres travailleurs sont restés plus longtemps. « J’ai passé 19 jours avec des collègues que j’ai trouvés sur place. Eux ont passé 28 jours. Chaque matin, le médecin passe nous prélever la température, et c’est tout », témoigne un employé d’une compagnie de sous-traitance pétrolière.
« Nous ne voyons pas de mal à cela, et nous sommes tous en bonne santé. La température prélevée avant de monter sur le bateau doit être à 37°, mais à partir de 38°, vous n’embarquez pas, c’est la règle », confirme un autre employé.
Pendant la mise en quarantaine, les salaires des travailleurs restent intacts, ils ne sont pas dépréciés. Dans une note diffusée le 11 juin, la direction d’Eni Congo appelle les sociétés sous-traitantes à partager les frais additionnels créés par la mise en quarantaine de leurs personnels. Dans cette note, Eni Congo demande à ses sous-traitants de supporter 50% des charges, car ils sont sensés lui fournir « de la ressource en bonne santé ». Cette compagnie pétrolière est prête à aller jusqu’à rembourser 100.000 francs CFA des frais journaliers à une société de sous-traitance qui le justifierait. Cela inclut les frais d’hôtel, le transport, le catering et sureté des agents en sous-traitance.
La société Total paye 30.000 francs CFA par jour à ses agents en quarantaine et leur ajoute un crédit de communication de 45.000 francs CFA. Total pointe tous ces agents à 12 heures, avec toutes leurs primes comme s’ils étaient en mer.
« Chez nous à Friedlander, on nous pointe 8 heures par jour pendant la quarantaine. Nous sommes sans primes, mais on nous donne 5.000 francs CFA par jour et 10.000 francs de crédit. Tout ça est payé à la fin du mois, on le constate sur notre salaire. Franchement, c’est mieux ici. Nous évitons les centres de l’Etat parce qu’ici, il n’y a presque pas de malades, or la mortalité est importante dans les hôpitaux », témoigne un employé chez le sous-traitant Friedlander.
Si tout se passe apparemment bien pour toutes ces personnes qui témoignent, nombreux redoutent des licenciements abusifs suite à la crise sanitaire due à la Covid-19. Les syndicalistes ruminent déjà des mouvements d’humeur à Pointe-Noire.
Anguille sous roche
Les compagnies pétrolières savent qu’en créant ces centres, elles se mettent à l’abri de toute contestation venant de leurs employés. Les multinationales peuvent avoir des procès en cascade si jamais leur personnel venait à être exposé à la Covid-19 ou qu’il ait été mal pris en charge. Aux Etats-Unis, par exemple, le président Donald Trump, en pleine campagne électorale, a fait signer des engagements à ses proches collaborateurs pour ne pas être poursuivi en justice au cas où l’un d’eux serait contaminé pendant cette période.
Mais pourquoi les autorités locales s’attaquent-elles à ces centres privés ouverts à Pointe-Noire ? C’est la question de l’investigateur. Naturellement, pour continuer à garder la maîtrise de la situation de la pandémie à Pointe-Noire. La dissémination des sites de quarantaine et de prise en charge fausse les statistiques que le gouvernement a pris coutume d’annoncer à l’opinion.
D’après plusieurs observateurs et de nombreux Pontenegrins, il y aurait bien de cas, mais non officiellement déclarés. « Nous savons qu’il y a des cas dans ces sites et dans les grandes cliniques ici dans la ville. Surtout les expatriés qui sont rentrés de l’Europe en début d’année lorsque le corona sévissait déjà en Italie et en France. Mais, ils ne sont pas déclarés. C’est dangereux pour le reste de la population », affirme un journaliste exerçant dans la ville.
L’Etat a ouvert deux centres de prise en charge des cas Covid-19. Mais, il y a beaucoup de manquements dans leur opérationnalisation. « Ici à Pointe-Noire, beaucoup de gens hésitent d’aller à l’hôpital, même pour les autres pathologies comme le palu ou la typhoïde, car on est vite diagnostiqué Covid-19. On ne sait plus à quel saint se vouer. Nous ne sommes pas satisfaits dans la prise en charge des cas Covid-19 dans les deux centres de l’Etat. C’est une grosse déception », déplore un jeune avocat au barreau de Pointe-Noire.
« Mais pourquoi l’Etat s’en prend-il à ces sites privés qui font bien leur travail ? C’est une question de meilleure offre de santé, et ici, comme dans le reste du Congo, ce sont les privés qui savent la faire. Eux-mêmes ils n’arrivent pas, ils forcent le corona à tout le monde, même aux bébés, on l’a vu récemment à A. Cissé. Je crois que s’ils ont raison de casser ces centres, ils auraient dû le faire depuis longtemps. Je suis convaincu qu’il y a anguille sous roche », selon un employé d’une société de sous-traitance pétrolière qui soutient avec véhémence l’organisation de ces centres privés.
Il ajoute : « Dans tout cela, l’Etat s’intéresse à l’argent qui circule dans ces hôtels occupés par les pétroliers. Mettre les gens en quarantaine, il faut les nourrir et les suivre médicalement. Cela nécessite des frais, et les compagnies pétrolières sont capables de les débourser. Voilà ce qui attire les autorités de Pointe-Noire, elles veulent avoir part au gâteau. Elles ne se soucient pas de la santé des gens, je doute ».